Quand on souhaite aller faire le guignol dans les Andes péruviennes,
on pense d'abord au Huascaran, à l'Alpamayo ou au Huandoy. Mais les
montagnes du Pérou ne se résument pas aux cimes de la Cordillère
blanche. Loin s'en faut. Il existe de très beaux terrains de jeu
sous la forme de grands strato-volcans, plus au Sud, aux alentours d'Arequipa,
la seconde ville du pays. Parmi ces butes volcaniques est le Nevado Coropuna,
un strato-volcan multi-dômes couvert d'une magnifique calotte de glace,
qui barre l'horizon sur environ trente kilomètres au Nord de la vallée
du Rio Colca. Il domine l'Altiplano semi-aride de près de 2 000 m,
le dôme sud ouest culminant à 6 425 m. C'est le plus
haut volcan et le troisième sommet du Pérou. Pendant un court
moment au début du siècle, il a occupé une meilleure
place dans le classement des plus hauts sommets d'Amérique du Sud
puisqu'en 1910, un certain A. Bandeleir le créditait de 6 949 m,
soit neuf de plus que l'Aconcagua (altitude estimée par les géomètres
à 6940 m en 1910) qui se trouvait relégué en seconde
position. L'année suivante, Miss Annie Peck ainsi qu'une expédition
dirigée par H. Bingham, futur découvreur du site du Machu
Puchu, remettaient de l'ordre dans le classement, rendant à l'Aconcagua
sa couronne.
C'est en octobre 1998, lors de ma première visite dans le Sud
du Pérou, que j'ai découvert le Nevado Coropuna. Difficile
de le rater, on ne voit que lui dès lors que l'on débouche
sur le plateau qui domine Chuquibamba. Lors de ce voyage, des impératifs
scientifiques ne m'ont pas laissé l'occasion de le gravir. J'ai du
me contenter de parcourir tout son flanc sud en compagnie de Miguel Zarate,
l'un des responsables de la découverte de la Juanita au sommet de
l'Ampato tout proche. Miguel m'avait accompagné dans l'espoir de
repérer des indices qui indiqueraient la présence de momies
incas au sommet. Pour les Incas, le Coropuna s'appelait Kjori Puna,
pointe dorée (kjori signifie or en langue quetchua), et était
un site religieux majeur. Il ne fait aucun doute que des sacrifices humains
ont eu lieu là-haut. Les conquistadores espagnols, trouvant trop
difficile la prononciation des noms quetchua, ont rebaptisé le volcan
avec son nom actuel, mais n'ont pas réussi à faire disparaître
les légendes locales qui font exister au sommet un paradis tapissé
de fleurs, peuplé d'oiseaux, de singes, et offrant un grand choix
de fruits. Le paganisme a la vie dure sur ces hauteurs.
En juillet 2000, j'étais de retour en terre inca en compagnie
de Cédric, jeune parisien alpiniste rencontré sur Internet,
avec la ferme intention de fouler du pied le sommet de ce volcan "sacré".
L'ascension était prévue pour le 20 août, mais auparavant,
je devais effectuer des travaux autour du volcan et nous comptions en profiter
pour nous acclimater. Le 04 août, nous sommes passés pour la
première fois à proximité du versant ouest du Coropuna
pour nous rendre plus au Nord. Il faisait un temps magnifique, ce qui nous
a permis de repérer de loin la voie normale que nous comptions suivre.
Une semaine plus tard, le 4x4 nous laissait au bord de la Laguna Pallacocha
à 4 600 m d'altitude d'où nous devions monter à proximité
du glacier ouest que je devais baliser. C'est ce glacier qu'il allait nous
falloir remonter pour atteindre le col qui nous donnerait accès au
sommet du dôme sud-ouest. La météo s'était franchement
dégradée en huit jours, au point que nous avons hésité
à partir. Toutefois, rassurés par un habitant du coin qui
nous a affirmé que le mauvais temps ne durait pas plus d'un ou deux
jours à cette saison, nous avons fini par quitter la voiture avec
comme objectif indirect de trouver un bon emplacement pour le camp de base.
Nous avons effectivement trouvé un bon site de bivouac vers 5 060
m d'altitude, mais il n'y avait de l'eau nulle part et la météo,
loin de s'améliorer, empira pendant la nuit et nous gratifia de quelques
chutes de neige. Pour couronner le tout, notre réchaud rendit l'âme
dès le premier soir, nous obligeant à utiliser une bougie
pour faire tiédir un fond d'eau et mollir quelques pâtes. Etait-ce
une mise en garde des Dieux incas ? Dans tous les cas, nous avons du redescendre
rapidement et contourner le volcan par le sud-ouest pour trouver de l'eau
et du combustible.
Pas démoralisés pour autant, le 19 août à
17 h 30, nous étions dans le bus de la Reyna en direction de la Laguna
Pallacocha, en compagnie d'un couple d'Allemands qui comptaient aussi gravir
le Coropuna. C'était certainement la première fois depuis
1911 qu'il allait y avoir deux cordées "concurrentes" en
même temps sur les pentes du volcan. Pour fêter ça, la
transmission du bus explosa peu avant Chuquibamba, ce qui nous permit de
profiter un peu plus longtemps du confort des sièges et de la chaleur
de la cabine. Après environ une heure de réparations artisanales
nous repartions et à 1 h 40 du matin, Cédric, nos deux collègues
allemands et moi, nous étions débarqués au bord de
la Laguna Pallacocha, sous un ciel étoilé et dans un air rare,
limpide et glacial. Nous avons marché ensemble jusqu'à 5 000
m d'altitude où les Allemands se sont arrêtés pour monter
leur camp. Pour notre part, nous avions décidé de monter jusque
vers 5 200 m pour nous rapprocher du glacier et raccourcir la montée
au sommet. Le jour se levait quand nous sommes rentrés dans nos duvets.
A 7 h, le soleil est apparu au-dessus des dômes du volcan, nous promettant
une belle journée et une météo parfaite pour partir
à l'assaut du sommet prévu pour la nuit suivante. Nos espoirs
furent de courte durée puisqu'en moins de deux heures les nuages
ont complètement bouché l'horizon. A 9 h, le plafond nuageux
était aux environs de 5 100 m et il s'est mis à neiger. Jusqu'à
15 h 30, mous sommes restés blottis dans nos sacs de couchage à
somnoler ou à nous goinfrer de gâteaux secs pour passer le
temps. De temps à autre, un coup de tonnerre venait rompre la monotonie
ambiante. Y'a vraiment plus de saisons ! Enfin, vers 16 h, le vent d'ouest
s'est levé, nous encourageant à tenter notre première
sortie de la journée. Le paysage était dramatiquement beau,
une mince couche de neige recouvrant mal les roches sombres offrait un premier
plan lunaire au Solimana qui, dans le lointain, peinait à se débarrasser
de sa gangue de nuages. Le ciel se dégageait, le soleil était
de retour pour quelques heures et nos espoirs d'ascension reprenaient du
poil de la bête. Plus bas, les Allemands aussi prenaient l'air. L'esprit
léger, nous avons englouti nos pâtes suivies d'un bon maté
de coca bien chaud et nous avons préparé nos sacs à
dos avant de retourner nous coucher. Vu la grande variabilité de
la météo, nous avions décidé de partir très
tôt, vers minuit, afin d'être en haut vers 7 h du matin et de
retour au camp vers 10 h. Quand le réveil sonna à 23 h, il
régnait une chaleur inquiétante sous la tente. Cédric
se réjouissait à l'idée de ne pas avoir froid pour
monter, mais sans même ouvrir la tente, je savais que la météo
s'était encore détériorée. J'en eus la confirmation
quand Cédric mit le nez dehors : la relative douceur était
due à un épais couvert nuageux masquant toute la partie sommitale
du Coropuna. Un peu dépités, nous avons quand même
remis le réveil à sonner à 1 h du matin. Il n'y eut
pas de miracle, on ne voyait même plus le front du glacier. Il ne
nous restait plus qu'à abandonner.
A 7 h du matin, le 21 août, il faisait beau. En prenant notre petit-déjeuner,
nous nous sommes longuement interrogés sur l'intérêt
de rester une journée de plus pour refaire une tentative la nuit
suivante. Quelques nuages noirs nous en ont dissuadés. Peu de temps
après nous avions plié le camp et repris le chemin de la route
principale où il allait nous falloir attendre le bus jusqu'à
20 h. Nous avons eu raison de redescendre puisque vers 11 h il neigeait
de nouveau et un orage avait éclaté plus bas, dans une des
vallées radiales. Les Allemands sont restés. En début
d'après-midi, un camion transportant des pleines caisses de bouteilles
de bière vides est passé. Il nous a emmenait jusqu'à
Chuquibamba où nous avons attendu le bus au chaud en dînant.
Le 24 août, dans l'avion qui nous ramenait à Lima, nous
avons survolé le Coropuna. Il faisait un temps superbe, parfait pour
aller au sommet. Il ne me reste donc plus qu'à revenir une troisième
fois.