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1967 - du 8 au 15 fevrier ---------- Première de la voie des guides en face nord
Yannick Seigneur - Claude Jager - Michel Feuillerade - Jean Paul Paris
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"Le Dru ! Quels combats évoquent ce nom ! Jadis, montagne
impossible, toutes ses arêtes et ses faces furent tour à tour
vaincues par les plus grands grimpeurs, puis par des foules de montagnards
anonymes. Toutes ses voies étaient et demeureront des pas en avant
dans l'histoire de l'alpinisme."
"En hiver, la montagne reprend tous ses droits, et surtout toute
sa mesure. Là où une cordée de deux passerait, légère
et rapide, en hiver il en est tout autrement. Le froid exige un équipement
lourd, les conditions de la montagne demandent un matériel technique
important. Pour une grande course, il faut de 25 à 30 kg de matériel
par personne. Les temps d'ascension sont donc souvent doublés, voire
triplés. Les retraites deviennent plus longues et plus difficiles.
Mais le goût du risque ne doit pas permettre à l'alpinisme
de devenir autre chose qu'un sport. Il doit être calculé, mesuré
et surtout limité.
Il était évident que la la face nord directe du Dru en
hiver allait être une très sérieuse entreprise, il fallait
donc une équipe techniquement très solide et surtout moralement
bien unie."
Deux cordées, quatre alpinistes... La première cordée
- la plus légère possible - grimpe, découvre et équipe
la voie : pitons, mousquetons, cordes fixes... La deuxième cordée
- chargée de tout le matériel - suit, avec l'aide des cordes
fixes. C'est le principe d'ascension qui a été adopté
par les quatre grimpeurs en ces froides journées de février
1967.
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La face nord des Drus n'a jamais été gravie en hiver. On
la redoute, on sait qu'il y gèle à pierre fendre... Certes,
le matériel a bien évolué : les chaussures de cuir
à semelle vibram sont dorénavant doublées d'un chausson
intérieur pour les hivernales. Fini, les anciennes cordes de chanvre
qui se remplissaient d'eau et durcissaient avec le froid, se transformant
ainsi en véritables filins rigides impossibles à manipuler
! Le matériau synthétique d'aujourd'hui reste souple, même
mouillé. Pourtant, les alpinistes renoncent, lors d'une première
tentative où, après 3 jours d'escalade, ils sont rattrapés
par la neige.
Dièdres verglacés, pente raide, cheminée étroite,
contenu dans la glace vive pour aménager des plateformes pour le bivouac,
dalles couvertes de glace qu'il faut tout d'abord déblayer avant
de trouver les fissures qui recevront les pitons d'assurance... "Je
transpire à grosses gouttes par - 15° tandis que Claude au relais
tape inlassablement ses pieds contre le rocher pour les réchauffer".
Voilà les mots qui émaillent les descriptions de l'ascension.
Des mots qui se passent de commentaire.
Et pourtant, trois jours plus tard, les alpinistes sont de nouveau à
pied d'uvre ! Ils ont complété leur matériel et leurs
vivres "pour soutenir l'assaut dans la paroi pendant au moins huit
jours."
Ils repartent, se retrouvent très rapidement sous le dièdre
surplombant, au sein des difficultés. "Je n'ose lever les yeux
vers le couloir de glace qui me domine ; je le croyais couché, or
il est à 65° environ sur 6 à 8 mètres, puis vertical
: aurai-je assez de broches à glace pour le surmonter ?"
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Les longueurs succèdent aux longueurs, lentement, péniblement,
dans le froid de cette sombre face nord. Les doigts sont durement éprouvés
par le contact permanent avec la roche, les éclats de glace ou la
fine neige proudreuse qui entre partout. Aux difficultés techniques
et physiques, s'ajoutent les ennuis de matériel : lles lanières
de cuir des rampons se brisent, cuites par le froid ; un sac de matériel
tombe dans le vide ; un manche de marteau-piolet se brise...
Les deux cordées se relaient en tête. Pourtant, le travail
des seconds n'est guère plus reposant que celui des premiers. S'ils
peuvent se hisser aux jumars le long des cordes fixes, ils doivent en même
temps hisser les lourdes charges de matériel. : un sac sur le dos,
un sac à bout de corde, pendu au-dessous d'eux et recouvert d'un
bidon de plastique pour éviter qu'il ne se coince trop souvent sous
les surplombs !...
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Et puis, il faut sans cesse lutter contre le froid. Le thermomètre
oscille généralement entre -15° et -20° et le névé
de la Niche s'est transformé en glace bleue où il est impossible
de contenur un emplacement de bivouac. Heureusement il n'y a pas trop de
vent et le temps se maintient merveilleusement au beau fixe. "...
Nous étions habités par un perpétuel sentiment de quelque
chose de grand en cours de réalisation. Un dépassement continuel
de soi ; une sorte d'état de grâce comme celle d'un athlète
courant sur les bases d'un record."
Quatrième bivouac, cinquième bivouac... les nuits glacées
succèdent aux journées glacées . Les pieds sont froids
et il faut les masser longuement. Quant aux cordes, elles commencent à
être sérieusement endommagées par le frottement des
poignées jumar et du rocher : elles s'effilochent, se coupent et
leur fiabilités'amenuise, d'heure en heure.
Ce n'est qu'après une lutte de huit jours (7 bivouacs plus ou
moins confortables dans la paroi) que les alpinistes viendront à
bout de cette immense face nord.
"Profondément riches, nous entamons dans la tourmente les
rappels vers la vallée, vers les hommes. Nos amis nous accueillent
et, avec gentillesse, nous ôtent nos crampons pour épargner
nos mains depuis longtemps déchirées par le gel et le granit."
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